3

 

Nevil Clavain regardait, depuis un sas de décompression, s’ouvrir un iris dans la coque de l’Ombre de la Nuit et des droïdes se ruer au-dehors. On aurait dit des poux ou des scarabées albinos, avec leur carapace blanche, segmentée, hérissée d’armes, de capteurs et autres bras manipulateurs. Ils traversèrent rapidement le vide qui les séparait du vaisseau ennemi, en s’accrochant à sa coque en forme de griffe à l’aide de leurs pattes munies de soles adhésives, puis ils filèrent sur la surface délabrée à la recherche des sas d’entrée et des points faibles connus sur ce type de vaisseau.

Les droïdes se déplaçaient selon le mode aléatoire des insectes auxquels ils ressemblaient. Ils auraient pu entrer dans le vaisseau comme on viole une forteresse, mais en prenant le risque de tuer les survivants qui auraient pu rester tapis dans les zones pressurisées. Clavain insista donc pour qu’ils empruntent les sas, même si cette procédure était plus longue.

Il n’avait pas à s’en faire. Dès que le premier scaraboïde fut passé, il devint évident qu’ils ne rencontreraient pas plus de résistance que de survivants armés. Le bâtiment était plongé dans les ténèbres, glacial et silencieux. Clavain sentait déjà que la mort régnait à bord. Le droïde eut beau parcourir tout le vaisseau ennemi, il ne renvoya que des images de cadavres figés à leur poste de travail. Des rapports similaires revenaient des autres machines qui patrouillaient un peu partout dans le bâtiment.

Clavain donna l’ordre de retrait à la quasi-totalité des scaraboïdes et envoya un petit détachement de Conjoineurs dans le vaisseau par le même chemin que les droïdes. Par les yeux de l’un d’eux, il regarda son bataillon émerger du sas, un par un : des formes blanches, bulbeuses, qui ressemblaient à des fantômes cuirassés, hérissés d’angles aigus.

Le bataillon explora le vaisseau d’un bout à l’autre, en passant par les mêmes espaces exigus que les scaraboïdes avaient parcourus, mais avec la circonspection particulière aux êtres vivants. Ils braquèrent leurs armes dans tous les recoins et les écoutilles, à la recherche d’éventuels survivants. Ils n’en trouvèrent aucun. Les cadavres furent quelque peu bousculés pour s’assurer qu’ils ne simulaient pas, mais aucun ne manifesta le moindre signe de vie. Les corps étaient déjà refroidis et les courbes thermiques entourant les visages indiquaient que la mort avait fait son œuvre, assez récemment, d’ailleurs. Il n’y avait pas signe de mort violente, ni même de blessure.

Il composa une pensée et la transmit à Skade et à Remontoir, qui étaient encore sur la passerelle :

Je vais entrer. Il n’y a pas de « si », pas de « mais ». Je ferai vite, et je ne prendrai pas de risques inutiles.

[Non, Clavain.]

Désolé, Skade, mais il faut choisir. Je ne suis pas membre de votre petit club cossu, ce qui veut dire que je peux aller où bon me semble. Que ça vous plaise ou non, ça fait partie du deal.

[Tu représentes encore un atout précieux pour nous, Clavain.]

Je serai prudent. Promis.

Il sentit l’irritation de Skade contaminer son propre état émotionnel. Remontoir n’était pas très enthousiasmé non plus.

En tant que membres du Conseil Restreint, il aurait été impensable que l’un ou l’autre prenne une initiative aussi dangereuse que l’abordage d’un vaisseau ennemi. Ils risquaient déjà assez gros en quittant le Nid Maternel. Bien des Conjoineurs, Skade y comprise, auraient voulu qu’il intègre le Conseil Restreint, où ils auraient pu mettre sa sagesse à profit et l’empêcher de s’attirer des ennuis. Compte tenu de l’autorité dont elle était investie au sein du Conseil, Skade aurait pu lui mener la vie dure s’il persistait à rester en dehors, en lui assignant des missions subalternes ou même en le condamnant à une sorte de retraite misérable, forcée. Il y avait d’autres modes de rétorsion, et Clavain ne les prenait pas à la légère. Il avait même envisagé la possibilité d’intégrer le Conseil Restreint. Au moins, ça lui vaudrait de recevoir quelques réponses, qui lui permettraient peut-être d’exercer une certaine influence sur leurs agresseurs.

Mais, tant qu’il n’aurait pas mordu à l’hameçon, il serait toujours un humble soldat. Aucune restriction ne s’appliquait à lui, et il voulait bien être damné s’il agissait comme s’il y était soumis.

Il continua à déchiffrer les données affichées sur son scaphandre. Pendant un moment, deux ou trois siècles au moins, ce processus avait été beaucoup plus simple et rapide. On revêtait un casque, un système de communication léger, et on traversait une membrane de matière intelligente tendue sur une porte donnant sur le vide. Au passage, une couche de la membrane se drapait autour de soi, formant une combinaison moulante, instantanée. Au retour, on n’avait qu’à repasser par la même porte pour que la combinaison se dissipe comme par magie, réintégrant la membrane. Du coup, sortir d’un vaisseau était aussi simple que de mettre des lunettes. Évidemment, ces technologies n’avaient jamais eu beaucoup de sens en temps de guerre – elles étaient trop vulnérables pour permettre de donner l’assaut –, et elles en avaient encore moins depuis la peste, seules les formes de nanotechnologie les plus hardies pouvant être utilisées pour les applications sensibles.

Clavain supposa qu’il aurait dû être agacé par la contrainte que cela lui imposait, mais, d’un autre côté, il trouvait étrangement rassurant l’habillage même – le fait de revêtir cette cuirasse martiale, de se harnacher d’armes et de capteurs, la rigueur des procédures de vérification. C’était peut-être parce que la nature rituelle de l’exercice évoquait une série de gestes superstitieux censés le protéger contre le mauvais sort. À moins que ce ne soit parce que ça lui rappelait à quoi les choses ressemblaient quand il était enfant.

Il quitta le sas et, d’un coup de pied, se rapprocha du vaisseau ennemi. Le bâtiment en forme de serre brillait sur le fond sombre de l’un des bras de la géante gazeuse. Il était endommagé, certes, mais il n’y avait pas trace de dégazage laissant envisager une perte d’intégrité de la coque. Avec un peu de chance, il y avait même encore un ou plusieurs survivants à bord. Bien que les scanners infrarouges n’aient rien fait apparaître de tel, les systèmes de détection laser avaient signalé un léger mouvement de va-et-vient de tout le vaisseau. Il pouvait y avoir plusieurs explications à ce mouvement, mais la plus évidente était la présence d’au moins une personne qui se déplaçait encore à l’intérieur, en flanquant des coups de talon aux parois. Pourtant, ni les scaraboïdes ni son équipe de recherche n’avaient trouvé le moindre survivant.

Quelque chose attira son regard : un filament de lumière vert pâle, qui se tortillait sur le croissant noir de la géante gazeuse. C’est à peine s’il avait eu une pensée pour le cargo depuis que le vaisseau demarchiste était apparu. Le vaisseau d’Antoinette Bax n’avait jamais émergé de l’atmosphère. Selon toute vraisemblance, elle était morte. On pouvait trouver la mort de plus de mille façons différentes dans certaines atmosphères. Il n’avait pas idée de ce qu’elle était venue y faire, et il doutait qu’il l’eût approuvée. Mais elle était seule – n’est-ce pas ? – et ce n’était pas une façon de mourir dans l’espace. Clavain se rappela comment elle avait ignoré l’avertissement du maître-à-bord, et se rendit compte qu’il avait plutôt de l’admiration pour elle. Quoi qu’elle ait pu être en dehors de cela, elle avait du courage, c’était indéniable.

Il heurta le vaisseau ennemi, amortissant l’impact en fléchissant les genoux. Clavain se releva, ses semelles adhérant à la coque. Levant la main devant sa visière pour protéger ses yeux de l’éclat du soleil, il se retourna et regarda l’Ombre de la Nuit, savourant cette rare occasion de voir son propre vaisseau du dehors. Le bâtiment était tellement sombre qu’il eut du mal à le distinguer, au début. Puis ses implants soulignèrent ses contours à l’aide d’un liseré vert, vibrant, l’échelle et la distance étant précisées par des chiffres rouges fluorescents. Le vaisseau était un gobe-lumen, capable de voguer dans l’espace interstellaire. La proue de l’Ombre de la Nuit était effilée, fine comme une aiguille, profilée afin de permettre une efficacité maximale lors de la propulsion à une vitesse voisine de la lumière. Deux moteurs étaient fixés sur des espars élancés, près de la partie la plus renflée de la coque, juste avant la queue émoussée. C’était ce que les autres factions humaines appelaient des propulsions Conjoineur, parce que les Conjoineurs avaient le monopole de leur construction et de leur diffusion. Pendant des siècles, ils avaient autorisé les Demarchistes, les Ultras et les autres voyageurs des étoiles à utiliser cette technologie, sans jamais partager avec eux les mystérieux processus physiques qui expliquaient le fonctionnement de ces propulsions impossibles à copier.

Mais tout cela avait changé, un siècle auparavant. Du jour au lendemain, les Conjoineurs avaient cessé de produire leurs moteurs. Sans fournir d’explication, ni promettre d’en reprendre un jour la fabrication.

À partir de ce moment-là, les propulsions Conjoineur existantes avaient pris une valeur phénoménale. Elles avaient donné lieu à de terribles actes de piraterie pour se les approprier. Cet événement avait certainement été l’un des facteurs de déclenchement de la guerre.

D’après la rumeur, les Conjoineurs avaient en fait continué à fabriquer des propulsions pour leur usage personnel. Mais Clavain savait – dans la mesure où l’on pouvait être sûr de quoi que ce soit – que la rumeur était infondée. La décision de cesser la production avait été immédiate et absolue. Et ce n’était pas tout : subitement, tout le monde, même les Conjoineurs, avait plus ou moins cessé d’utiliser les vaisseaux existants. Clavain ne savait ni par qui ni pourquoi cette mesure avait été décrétée. Il supposait que c’était une décision du Conseil Restreint, mais il n’en voyait vraiment pas la raison.

Et voilà que le Conseil Restreint avait construit l’Ombre de la Nuit et lui en avait confié le commandement pour cette mission test. Seulement le Conseil Restreint était avare d’explications. Remontoir et Skade en savaient à l’évidence plus que lui, et il était prêt à parier que Skade en savait encore plus que Remontoir. Skade avait passé le plus clair de son temps planquée quelque part, sans doute occupée à travailler sur du matériel militaire ultrasecret. Les efforts de Clavain pour tenter de découvrir ce qu’elle mijotait avaient échoué.

Et il n’avait toujours pas idée de la raison pour laquelle le Conseil Restreint avait cautionné la construction d’un nouveau vaisseau stellaire alors que l’issue de la guerre semblait jouée, alors que l’ennemi avait déjà commencé à battre en retraite. À quoi bon ? S’il intégrait le Conseil, il n’aurait peut-être pas toutes les réponses qu’il voulait – il ne serait pas encore membre du Sanctuaire Intérieur –, mais il s’en rapprocherait considérablement.

Ça paraissait presque tentant.

Dégoûté de la facilité avec laquelle il s’était laissé manipuler par Skade et les autres, Clavain détourna le regard, et le contour du vaisseau disparut alors qu’il s’approchait prudemment du point d’entrée.

Il se retrouva bientôt dans le vaisseau demarchiste, suivant des conduites et des boyaux qui auraient dû, normalement, être pleins d’air. Clavain téléchargea toutes les données numérisées disponibles sur le vaisseau et crut ressentir un léger picotement alors que les informations apparaissaient dans sa tête. Il éprouva instantanément un étrange sentiment de familiarité, de déjà-vu. Il arriva dans un sas où il eut un peu de mal à entrer avec son scaphandre blindé, si encombrant. Clavain referma le sas derrière lui, l’air se rua à l’intérieur en rugissant, puis la porte donnant sur la partie pressurisée du vaisseau s’éclipsa. Il eut une impression renversante d’obscurité, mais son casque passa en mode haute sensibilité, faisant apparaître des contours infrarouges et sonar dans son champ visuel.

[Clavain.]

L’un des membres de l’équipe de recherche – une femme – l’attendait. Clavain se tourna vers elle et s’accrocha contre la paroi intérieure.

Vous avez trouvé quelque chose ?

[Pas vraiment. Tout le monde est mort.]

Tout le monde ?

Les pensées de la femme arrivaient dans sa tête comme des balles, sèches et précises.

[Récemment. Aucune trace de blessure. La mort paraît délibérée.]

Aucun signe de survivants ? Nous pensions qu’il pourrait y en avoir au moins un.

[Aucun survivant, Clavain.]

Elle lui offrit une plongée dans ses souvenirs. Il l’accepta, se blindant en prévision de ce qu’il allait voir.

C’était aussi moche qu’il le craignait. Il avait l’impression de découvrir la scène d’un épouvantable suicide collectif. Il n’y avait aucun signe de lutte ou de violence. Pas de signe de panique non plus. L’équipage était mort à son poste, comme si quelqu’un avait fait le tour du vaisseau et distribué des pilules de mort à l’équipage. Une possibilité encore plus horrible était que l’équipage s’était rendu à un point central où on lui avait donné de quoi mettre fin à ses jours et avait regagné son poste. Chacun avait peut-être continué à remplir sa tâche jusqu’à ce que le maître-à-bord ordonne le suicide collectif.

En apesanteur, les têtes ne ballottaient pas dans le vide. Les bouches n’étaient même pas béantes. Les corps sans vie assumaient plus ou moins des postures parodiques de la vie. Certains étaient maintenus par des hamacs pareils à des toiles d’araignée, d’autres n’étaient pas attachés et planaient d’une paroi à l’autre. C’était l’une des leçons les plus primitives et les plus terrifiantes de la guerre dans l’espace : dans le vide, on avait du mal à distinguer les morts des vivants.

Les membres de l’équipage étaient tous malingres et avaient l’air faméliques, comme s’ils avaient dû se contenter de rations de survie depuis des mois et des mois. Ils avaient parfois des escarres ou des ecchymoses qui n’avaient pas eu le temps de guérir. Peut-être y avait-il eu des morts, qui avaient été éjectés dans le vide afin de faire des économies de carburant. Sous leurs casquettes et leurs casques audio, ils avaient tous le crâne grisâtre de ceux qui se sont rasés depuis peu. Ils étaient tous vêtus de la même façon, portant des insignes indiquant leur spécialité technique et non leur rang. La lumière sinistre de l’éclairage de secours donnait à leur peau une teinte gris-vert uniforme.

Soudain, Clavain vit un cadavre planer dans son champ de vision. L’homme semblait nager dans l’air, la bouche entrouverte, les yeux fixés sur un point indéterminé plusieurs mètres devant lui. L’homme heurta une paroi, et Clavain sentit la paroi vibrer faiblement.

Clavain projeta une demande dans la tête de la femme.

Vous pourriez attacher ce cadavre ?

La femme s’exécuta tandis que Clavain ordonnait à tous les membres de l’équipe de recherche de s’amarrer et de ne plus bouger. Il n’y avait pas d’autre corps à la dérive, ni d’objet susceptible d’effectuer un quelconque mouvement dans le bâtiment. Clavain attendit un moment que l’Ombre de la Nuit, qui braquait toujours sur l’ennemi ses lasers à télémesure, lui envoie de nouvelles instructions.

Au début, il n’en crut pas ses yeux.

C’était incroyable, mais quelque chose bougeait encore dans le vaisseau ennemi.

 

 

— Petite Demoiselle ?

Antoinette connaissait bien ce ton, et les perspectives n’étaient guère brillantes. Plaquée sur sa couchette, elle grommela une réponse que la Bête était bien seule à pouvoir comprendre.

— Il y a un problème, hein ?

— En effet, Petite Demoiselle, et je le déplore. On ne peut en être absolument sûr, mais il semblerait qu’il y ait un problème avec le noyau de fusion principal.

La Bête projeta sur les écrans supérieurs de la passerelle un schéma du système de fusion qui se superposa à la couche de nuages dans laquelle l’Oiseau de Tempête se précipitait en remontant vers l’espace. Sur certains éléments du moteur à fusion palpitaient des lumières rouges très inquiétantes.

— Bon Dieu de merde ! Le tokamak, c’est ça ?

— Il semble bien, Petite Demoiselle.

— Et merde ! Je savais qu’on aurait dû le changer lors de la dernière grande visite.

— Surveillez votre langage, Petite Demoiselle. Et l’on se permet de vous faire remarquer que ce qui est fait est fait.

Antoinette passa en revue certains des autres processus de diagnostic, mais les nouvelles n’étaient pas meilleures.

— C’est la faute de Xavier, dit-elle.

— Xavier, Petite Demoiselle ? Et en quoi M. Liu serait-il coupable ?

— Xav m’a juré ses grands dieux que le tok ne nous lâcherait pas avant au moins trois voyages.

— Peut-être, Petite Demoiselle. Mais, avant d’accabler M. Liu, vous devriez peut-être vous rappeler la coupure du moteur principal que nous a imposée la police alors que nous quittions la Ceinture de Rouille. La brutalité de la procédure n’a pas arrangé le tokamak. Et les vibrations provoquées par la rentrée dans l’atmosphère ont achevé de l’ébranler.

Antoinette se renfrogna. Il y avait des moments où elle se demandait de quel côté était la Bête, en réalité.

— C’est bon, dit-elle. Xav est disculpé. Pour le moment. Mais ce n’est pas ça qui va beaucoup m’aider, hein ?

— La panne est annoncée, Petite Demoiselle, mais pas assurée.

Antoinette revérifia les données.

— Pour rejoindre l’orbite, il faudra que nous élevions l’accélération de dix kilomètre-heure par seconde. Tu crois pouvoir y arriver, la Bête ?

— On va faire de son mieux, Petite Demoiselle.

Elle hocha la tête. Elle ne pouvait pas en demander davantage au vaisseau ; au-dessus, les nuages commençaient à se raréfier, le ciel s’assombrissait, devenait d’un bleu nuit profond. L’espace avait l’air si près qu’elle aurait pu le toucher.

Mais elle n’était pas encore arrivée.

 

 

Clavain les regarda ôter le dernier panneau derrière lequel le rescapé était dissimulé. L’un de ses hommes braqua une torche dans un sinistre réduit. Le survivant était blotti dans un coin, encoconné dans une couverture chauffante grise, crasseuse. Clavain éprouva un vif soulagement. Ce détail mineur étant réglé, le vaisseau ennemi pouvait être tranquillement détruit et l’Ombre de la Nuit pouvait regagner le Nid Maternel.

Trouver le survivant avait été beaucoup plus facile que Clavain ne s’y attendait. Une demi-heure lui avait suffi pour repérer la cachette, grâce à des scanners acoustiques et à des biocapteurs. Après quoi ils n’avaient plus eu qu’à écarter les panneaux et le matériel entassés devant pour trouver la niche secrète, un volume de la taille de deux placards placés dos à dos. Il se trouvait dans une partie du vaisseau où l’équipage humain devait éviter d’aller trop souvent, car le taux de radiations était élevé, à cause des moteurs à fusion.

La cachette ressemblait à une cellule, improvisée dans un vaisseau qui n’avait jamais été prévu pour transporter des prisonniers. Le captif avait dû être fourré dans un réduit autour duquel on avait boulonné et collé des panneaux et du matériel, ne laissant qu’une meurtrière pour l’air, l’eau et la nourriture. Clavain huma une bouffée d’air filtrée par son scaphandre : une odeur de déjections humaines agressa ses narines. Il se demanda si le prisonnier avait été négligé tout le long du voyage, ou seulement depuis que l’attention de l’équipage avait été mobilisée par l’arrivée de l’Ombre de la Nuit.

À part ça, le prisonnier n’avait apparemment pas été maltraité. Le réduit était immonde, mais ses parois avaient été capitonnées et munies de quelques sangles pour lui permettre de s’accrocher, afin de lui éviter d’être blessé lors des manœuvres, en cas de combat. Un micro avait été installé, pour communiquer avec lui. Enfin, pour autant que Clavain pouvait en juger, il ne fonctionnait que dans un sens, permettant de parler au prisonnier. Il y avait des couvertures et les restes d’un repas. Clavain avait vu des geôles plus sinistres. Il en avait même occupé quelques-unes.

Il projeta une pensée dans la tête du soldat qui tenait la torche :

Enlevez-lui cette couverture, s’il vous plaît. Je veux voir qui nous avons trouvé.

Le soldat entra dans la cachette. Clavain se demanda qui pouvait bien être le prisonnier, son esprit passant frénétiquement en revue toutes sortes de possibilités. À sa connaissance, aucun Conjoineur n’avait été capturé récemment, et il doutait que l’ennemi eût pris la peine de le garder en vie. L’hypothèse la plus probable était que le prisonnier fût un renégat du camp ennemi : un traître ou un déserteur.

Le soldat arracha la couverture de la silhouette recroquevillée sur elle-même.

Le prisonnier, roulé en boule, ferma les paupières pour protéger de la soudaine lumière ses yeux habitués à l’obscurité.

Clavain le regarda avec stupéfaction. Il ne s’attendait pas à ça… Au premier abord, on aurait pu prendre le captif pour un adolescent humain, dont il avait à peu près la taille et la corpulence. Un adolescent nu, replié dans la position fœtale – il voyait sa peau rose, dénudée. Un horrible bourrelet de chair brûlée entourait le haut de son bras, une vilaine cicatrice crevassée, où le rose était mêlé d’un blanc mortel.

Clavain regardait un hyperporc : une chimère génétiquement modifiée de cochon et d’être humain.

— Salut, fit Clavain tout haut, le micro de sa combinaison transmettant sa voix amplifiée.

Le porcko bougea. Le mouvement fut soudain, comme un ressort qui se détend, et les prit tous par surprise. Il bondit, le poing serré sur un objet métallique, allongé, luisant, qui reflétait la lumière. Il le planta brutalement dans la poitrine de Clavain. La pointe de la lame ripa sur la plaque de blindage, n’y laissant qu’une rayure brillante, mais trouva l’endroit, près de l’épaule, où deux plaques glissaient l’une sur l’autre. La lame s’enfonça dans la faille et une alarme stridente, pulsatile, retentit dans le casque de Clavain. Il eut un mouvement de recul instinctif avant que la lame ne réussisse à transpercer la couche intérieure de sa combinaison, puis à pénétrer dans sa peau, et heurta avec un choc affreux la paroi derrière lui. Le porcko lâcha son arme, qui partit en tournoyant comme un vaisseau privé de contrôle gyroscopique. Clavain reconnut un piézocutter ; il y en avait un parmi les outils du kit accroché à sa ceinture. Le porcko avait dû le voler à un Demarchiste.

Clavain reprit son souffle.

— Bon, si on repartait de zéro ?

Les autres Conjoineurs avaient cloué le porcko à terre. Clavain inspecta son scaphandre et effectua une recherche d’avarie. Les circuits spécialisés signalaient une légère fuite. Il ne redoutait pas la dépressurisation, mais plutôt la présence d’agents pathogènes non encore détectés à bord du vaisseau ennemi. Par réflexe, il prit à sa ceinture une bombe de gel d’étanchéité, régla le diamètre de la buse et projeta la résine à prise rapide sur l’entaille, où elle forma un kyste gris, bulbeux.

Un peu avant l’avènement de l’ère demarchiste, au cours du vingt et unième ou du vingt-deuxième siècle, à peu près au moment de la naissance de Clavain, un éventail de gènes humains avaient été épissurés sur des cochons domestiques. L’idée était d’optimiser les greffes en faisant produire à des porcs des organes susceptibles d’être transplantés à des êtres humains. Depuis, on avait découvert des moyens de réparer ou de remplacer les tissus endommagés, mais les expériences sur les porcs étaient toujours légales, et le génie génétique était allé trop loin. Le résultat obtenu ne s’était pas borné au croisement des espèces ; il s’était accompagné de quelque chose qui n’était pas prévu du tout : l’intelligence.

Personne, ni les hommes ni les porckos, ne savait ce qui s’était passé au juste. Le tripatouillage qui avait élevé leurs facultés cognitives au niveau humain n’était peut-être pas délibéré, mais les porckos n’avaient sûrement pas acquis le langage par accident. Ils ne parlaient pas tous – il y avait des sous-groupes distincts d’hyperporcs dotés de facultés mentales et vocales –, mais ceux qui pouvaient parler avaient été fabriqués par quelqu’un qui savait exactement ce qu’il faisait. Non seulement leur cerveau était câblé avec la bonne machinerie grammaticale, mais encore leur gosier, leurs poumons et leur mâchoire avaient été modifiés afin de pouvoir articuler les sons du langage humain.

Clavain s’avança pour parler au prisonnier.

— Vous me comprenez ? demanda-t-il d’abord en norte, puis en canasien, la langue principale des Demarchistes. Je m’appelle Nevil Clavain. Vous êtes sous la protection des Conjoineurs.

— Plutôt crever ! lança le porcko, sa mâchoire et son pharynx lui permettant de parler à la perfection. Allez vous faire foutre !

— Ce n’est pas ce que j’avais prévu aujourd’hui.

Le porcko ouvrit avec méfiance un de ses yeux rouges.

— Mais qui vous êtes, putain ? Où sont les autres ?

— L’équipage du vaisseau ? J’ai bien peur qu’ils ne soient tous morts.

Le porcko ne parut guère s’émouvoir de cette nouvelle.

— C’est vous qui les avez tués ?

— Non. Ils étaient déjà morts quand nous sommes montés à bord.

— Et vous êtes qui, vous ?

— Je vous l’ai dit, des Conjoineurs.

Une parodie de dégoût tordit la bouche presque humaine du porcko.

— Des araignées… Vous savez ce que je leur fais, aux araignées ? Je leur pisse à la raie !

— Charmant.

Clavain vit que ça ne les mènerait nulle part. Il demanda en sous-vocalisant à l’un de ses hommes de faire droguer le porcko et de le ramener à bord de l’Ombre de la Nuit. Il n’avait aucune idée de la valeur du prisonnier, de son identité ou du rôle qu’il jouait dans cette interminable guerre, qui semblait définitivement mal partie. Enfin, il en saurait plus long quand il aurait été scrapé. Et les médechines des Conjoineurs auraient miraculeusement raison de ses éventuelles réticences.

Clavain resta sur le vaisseau ennemi pendant que les équipes de recherche procédaient aux dernières vérifications, s’assurant que l’ennemi n’avait pas laissé d’informations tactiques utiles derrière lui. Mais il n’y avait rien ; les banques de données mémorielles du vaisseau avaient été nettoyées. Leurs investigations ne révélèrent aucune technologie qui ne fût déjà connue des Conjoineurs, et aucun système d’armement méritant qu’ils se l’approprient. La procédure standard, à ce stade, consistait à détruire le vaisseau fouillé, pour l’empêcher de retomber aux mains de l’ennemi.

Clavain réfléchissait au meilleur moyen de l’anéantir – un missile ? une charge explosive ? – lorsqu’il s’avisa que la présence de Remontoir faisait intrusion dans sa tête.

[Clavain ?]

Oui, qu’y a-t-il ?

[Nous avons capté un message de détresse général du cargo.]

Antoinette Bax ? Je la croyais morte.

[Elle n’est pas morte, mais ça ne devrait pas tarder. Son vaisseau a des problèmes de moteur – une panne de tokamak, apparemment. Elle n’atteindra pas la vitesse de libération qui devrait lui permettre d’échapper à l’attraction de la planète et de se positionner en orbite.]

Clavain hocha la tête, plus pour lui-même que pour le bénéfice de Remontoir. Il imaginait le genre de trajectoire parabolique qu’aurait dû suivre l’Oiseau de Tempête. Il n’avait peut-être pas encore atteint le point de rebroussement de cette parabole, mais tôt ou tard Antoinette Bax allait commencer à retomber vers le banc de nuages. Il imaginait aussi le désespoir auquel elle devait être réduite pour émettre un signal de détresse alors que le seul vaisseau à sa portée était un bâtiment conjoineur. D’après son expérience, la plupart des pilotes auraient préféré mourir plutôt que de tomber entre les griffes des araignées.

[Clavain… Tu te rends compte que nous ne pouvons répondre à son appel.]

Je m’en rends compte.

[Ça créerait un précédent. Ce serait complètement illégal. Nous n’aurions pas d’autre solution que de l’enrôler, en mettant les choses au mieux.]

Clavain hocha de nouveau la tête en repensant aux prisonniers qu’il avait vus hurler et se débattre alors qu’on les traînait vers les recruteurs conjoineurs qui leur bourreraient la tête de machinerie neurale. Leur angoisse était déraisonnable ; il le savait mieux que personne, lui qui était jadis passé par là. Mais il comprenait ce qu’ils pouvaient ressentir.

Et il se demanda s’il avait envie d’infliger cette terreur à Antoinette Bax.

 

 

Un peu plus tard, Clavain vit l’étincelle bleu vif du vaisseau ennemi qui retombait dans l’atmosphère de la géante gazeuse. Il n’avait pas choisi son moment, mais la rentrée avait eu lieu dans la zone plongée dans la nuit, et les strates de nuages tumultueux étaient illuminées d’éclairs spasmodiques violets alors qu’il s’enfonçait dans leurs profondeurs. C’était impressionnant, presque beau, et Clavain regretta fugitivement que Galiana ne puisse voir ça. C’était exactement le genre de spectacle qui l’aurait enchantée. Elle aurait aussi approuvé la méthode de destruction qu’il avait choisie : pas de dépense inutile, comme de gâcher un missile ou une charge explosive. À la place, il avait envoyé trois tracteurs-fusées de l’Ombre de la Nuit, des drones, se plaquer comme des rémoras sur la coque du vaisseau ennemi. Les tracteurs l’avaient entraîné vers la géante gazeuse, ne s’en détachant qu’à quelques minutes de l’entrée dans l’atmosphère. L’angle d’attaque avait été abrupt, et la combustion du vaisseau ennemi impressionnante.

Les tracteurs revenaient maintenant au bercail, à la poussée maximale pour rattraper l’Ombre de la Nuit, qui repartait déjà vers le Nid Maternel. Lorsqu’ils l’auraient réintégré, l’opération pourrait être considérée comme achevée ; il n’y aurait plus que le problème du prisonnier à régler, mais ce n’était pas très urgent. Quant à Antoinette Bax… eh bien, abstraction faite de ses motivations, Clavain admirait son courage. Et pas seulement parce qu’elle s’était aventurée aussi loin dans la zone de conflit ; à cause aussi de la façon dont elle avait si effrontément ignoré les avertissements du maître-à-bord, et puis, quand c’était devenu nécessaire, le fait qu’elle avait eu les couilles d’appeler les Conjoineurs à la rescousse. Elle devait savoir que c’était irréaliste. L’illégalité de son intrusion dans la Zone Contestée proscrivait qu’on lui portât assistance, et il y avait peu de chances qu’un vaisseau militaire gaspille du temps ou du carburant pour ça. Elle devait aussi savoir que, même si les Conjoineurs lui sauvaient la vie, le prix à payer serait l’embrigadement dans leurs rangs, ce que la machine de propagande demarchiste faisait passer pour un sort pire que l’enfer.

Non. Elle ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce qu’on vienne à son secours. Enfin, c’était courageux de sa part de le demander.

Clavain réprima un soupir. Il était à la limite du dégoût de lui-même. Il émit une commande neurale ordonnant à l’Ombre de la Nuit de braquer un faisceau étroit sur le cargo condamné. Quand la liaison fut établie, il dit tout haut :

— Antoinette Bax… ? Ici Nevil Clavain, du vaisseau conjoineur. Vous m’entendez ?

Il y eut un petit délai dû à la distance, et le signal de retour lui parvint déformé. La voix donnait l’impression de venir d’au-delà du quasar le plus éloigné.

— À quoi bon me contacter maintenant, salaud ? Je vois bien que vous allez me laisser crever.

— J’étais intrigué, c’est tout.

Il retint son souffle, s’attendant à moitié à ce qu’elle ne réponde même pas.

— Intrigué… par quoi ?

— Je me demandais ce qui avait bien pu vous pousser à nous demander notre aide. Vous n’avez pas peur de ce que nous pourrions vous faire ?

— Pourquoi devrais-je avoir peur ?

Elle crânait, mais Clavain n’était pas dupe.

— Nous avons pour politique d’assimiler les prisonniers capturés, Bax. Nous vous amènerions à bord et nous vous trufferions le cerveau de machines. Ça ne vous inquiète pas ?

— Si, mais je vais vous dire ce qui m’inquiète sacrément plus pour le moment : c’est de m’écraser sur cette foutue putain de planète.

Clavain eut un sourire.

— C’est une attitude très pragmatique, Bax. Je vous admire.

— Parfait. Maintenant, foutez le camp et laissez-moi crever tranquille.

— Antoinette, écoutez-moi bien. Je voudrais que vous fassiez quelque chose pour moi, et assez vite.

— Quoi donc ?

Elle avait dû détecter le changement de ton dans la voix de Clavain, bien qu’elle ait l’air encore soupçonneuse.

— Téléchargez-moi un plan de votre vaisseau. Je voudrais un profil complet de l’intégrité structurelle de votre coque. Les points de résistance, ce genre de chose. Le mieux serait que vous ameniez votre coque à se colorer pour révéler le maximum de contours de stress. Je veux savoir où je pourrais appliquer une force sans risquer de voir votre vaisseau se casser en deux.

— Il n’y a aucun moyen de me sauver. Vous êtes trop loin. Même si vous faisiez demi-tour maintenant, vous arriveriez trop tard.

— Il y a un moyen, faites-moi confiance. Allez, envoyez-moi ces informations tout de suite, s’il vous plaît, ou il va falloir que j’improvise, et si je me trompe…

Elle ne répondit pas tout de suite. Il attendit en se grattant la barbe et ne reprit son souffle que lorsqu’il reçut l’avis de téléchargement de l’Ombre de la Nuit : les données avaient bien été envoyées. Il scanna la transmission à la recherche de virus neuropathogènes et se la laissa télécharger dans le cerveau. Tout ce qu’il avait besoin de savoir sur le cargo s’épanouit dans sa tête, rangé dans sa mémoire à court terme.

— Merci beaucoup, Antoinette. Ça fera parfaitement l’affaire.

Clavain envoya une instruction à l’un des tracteurs-fusées qui revenaient vers le vaisseau. Le tracteur se sépara des autres sur une brutale accélération, exécutant un virage en épingle qui aurait réduit en chair à pâté un passager vivant. Clavain autorisa le tracteur à ignorer tous ses paramètres de sécurité internes, outrepassant la contrainte de conserver l’énergie nécessaire pour regagner l’Ombre de la Nuit.

— Qu’allez-vous faire ? demanda Bax.

— Je vous envoie un drone. Il va s’amarrer à votre coque et vous entraîner vers l’espace, hors du puits gravifique de la planète jovienne. Je vais programmer le tracteur afin qu’il vous inflige une modeste poussée en direction de Yellowstone, mais à partir de là je crains que vous ne soyez livrée à vous-même. J’espère que vous arriverez à réparer votre tokamak, ou bien vous n’êtes pas rentrée chez vous…

Il eut l’impression que ses paroles mettaient une éternité à s’insinuer dans son esprit.

— Vous ne me capturez pas ?

— Pas aujourd’hui, Antoinette. Mais si vous croisez à nouveau mon chemin, je vous jure que je vous tue.

Il n’avait pas délivré cet avertissement de gaieté de cœur, mais il espérait que ça lui mettrait du plomb dans la cervelle. Il coupa la liaison avant qu’elle n’ait le temps de répondre.

L'Arche de la rédemption
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